Accompagner une jeune joueuse de tennis vers le haut niveau

Patrice GRUETPortraits2 Commentaires

Suite à l’interview d’Eric Boisson dont une large part est accordée au tennis féminin, nous avons décidé de nous intéresser aux entraineurs et entraineuses de joueuse de tennis.
A cette occasion, Sofian Alaoui, DE Tennis et étudiant en journalisme a rencontré Sébastien Quiring, entraîneur de tennis au club du TC Chilly-Mazarin

Sébastien Quiring, 35 ans est professeur de tennis depuis une dizaine d’année. Dans ce cadre, il coach Clémence Fayol, née en 1994 et classé -2/6, depuis 3 ans. Clémence, s’est lancée dans un projet clair : devenir joueuse de tennis de haut niveau. Même si elle a pris du retard dans sa progression par rapport aux joueuses de tennis de pôle, elle a récemment confirmé son potentiel avec des victoires à -30 et promotion. Pour atteindre ses ambitions, elle est désormais déscolarisée et s’entraîne quotidiennement
A travers son regard de coach, Sébastien nous explique les différents aspects d’un tel projet.

S. A. : Tout d’abord, peux-tu nous présenter ton parcours dans le tennis ?

Sébastien Quiring :  J’ai commencé le tennis à l’âge de 9 ans et j’ai rejoint le club de Mennecy à 14 ans. J’y suis resté 10 ans en tant que joueur et j’ai atteint mon meilleur classement à 19 ans (-2/6). Ma carrière de joueur s’est arrêtée lorsque je me suis blessé au coude et quand j’ai commencé à enseigner. A 23 ans je me suis formé pour obtenir le Brevet d’État d’éducateur sportif (B.E.E.S. 1°).

S.A. : Et ton parcours d’enseignant ?

En tant qu’enseignant, j’ai un parcours un peu atypique car je ne suis pas resté plus de 2 ou 3 ans dans les clubs par choix. J’estimais au départ que le fait d’être sur plusieurs clubs en même temps me permettrait de connaitre différents enseignants, différentes méthodes d’entrainement et de fonctionnement de club. Après avoir travaillé dans mon club d’origine,  j’ai enseigné au Tennis Club de Milly-la-Forêt dans lequel j’ai commencé à entrainer des compétiteurs et à faire de la formation de jeunes joueurs.
J’ai ensuite intégré le Rueil Athletic Club – Tennis dans les Hauts-de-Seine en tant que responsable des cours adultes pendant deux années.  A l’issue de ces 2 années, j’ai ressenti le besoin d’évoluer à nouveau aux coté de compétiteurs.

S.A. : Pour ton parcours d’entraîneur?

Grâce à un ami j’ai contacté Patrick Mouratoglou qui cherchait des coachs. J’ai travaillé pendant 6 mois dans l’académie où je me suis occupé de Renzo Livio. J’ai souvent discuté avec lui du métier de coach. Ensuite j’ai pu côtoyer Marcos Baghdatis qui était à l’époque finaliste de l’open d’Australie. Cette expérience m’a permis d’approcher le tennis de haut niveau.
Au bout de ce parcours, j’ai été contacté afin de diriger l’école de compétition du Tennis Club de Chilly-Mazarin dans lequel je travaille depuis 6 ans. Cela se passe très bien grâce à l’ouverture d’esprit du bureau qui me donne les moyens d’enclencher des projets.

S.A. : Qu’as-tu le plus appris en tant que compétiteur ?

S.Q. :  Pour moi, la compétition est une vraie école de la vie : tu es confronté aux mêmes épreuves que dans la vie de tous les jours. En tant que joueur, ce qui m’a marqué, c’est d’abord l’humilité, puisqu’on peut gagner des matchs et en perdre très vite aussi. Ensuite la combativité : donner le meilleur de soi-même sur le moment, quelque soit les sensations, le niveau de jeu du jour, les éléments extérieurs, le joueur adverse etc. C’est à mon sens la qualité la plus importante dont a besoin un compétiteur.

S.A. : Tu es désormais coach de Clémence Fayol, jeune joueuse de tennis, peux-tu nous la présenter ?

S.Q. : Elle a 17 ans depuis quelques mois. Elle est entourée par une famille qui baigne dans le monde du tennis. Ses parents et grands-parents sont des passionnés, toute la famille a pratiqué le tennis, son frère est classé 3/6. Quand je suis arrivé à Chilly-Mazarin il y a 6 ans, je l’ai eu d’abord comme élève . Je l’avais une fois par semaine au sein d’un groupe de 3 joueuses nées en 94. Je n’étais pas son entraîneur attitré.

A cette époque, il n’y avait aucune projection dans la compétition à long terme mais j’ai tout de suite vu qu’elle avait de grosses qualités. Je crois en la formation mais également aux qualités intrinsèques d’une joueuse ou d’un joueur, notamment dans le potentiel physique. Clémence est ensuite restée quelque temps puis est parti au Tennis Club d’Antony pour des raisons de proximité. Elle y est resté deux ans et y a progressé en montant 4/6 à 15 ans. Puis elle a fini par revenir au Tennis Club de Chilly Mazarin car l’équipe 1 était plus attractive et lui permettait d’avoir une meilleure marge de progression. C’est à partir de là que je l’ai à nouveau entrainée et qu’elle a commencé à se fixer des objectifs plus précis.

Clémence était explosive, très jeune.  Elle était très rapide et en mettait partout sauf dans le court ! (rires). Il y avait une véritable qualité de balle et on sentait qu’avec des repères plus précis, elle pouvait devenir une très bonne joueuse de tennis.

S.A. : Comment s’est passé la collaboration depuis le retour au Tennis Club de Chilly-Mazarin de cette joueuse de tennis ?

S.Q. : Le projet de haut niveau a mis du temps à se dessiner. De mon coté, Je voyais une joueuse avec d’énormes moyens et qui perdait des matchs en étant « tennistiquement » largement au-dessus de ses adversaires. Elle avait du mal à gérer certaines émotions. Le déclic s’est produit au cours d’une discussion suite à une défaite à Saint-Nazaire, lors d’une tournée de tournoi. Je lui ai expliqué qu’elle avait un réel potentiel, exploitable à condition qu’elle fasse tous les efforts pour y arriver. Parmi ces efforts, il me semblait indispensable qu’elle soit déscolarisée avec un programme d’entrainement quotidien. Cela a mis du temps à murir dans sa tête car elle a commencé l’année au lycée avec un programme d’entrainement classique jusqu’à la Toussaint. Elle a finalement pris la décision par elle même de se déscolariser et d’atteindre son objectif : être numérotée à 20 ans.  Il y a deux ans elle perdait a 15, aujourd’hui elle gagne à -30.

S.A. : Quel programme est mis en place pour atteindre cet objectif ?

S.Q. : Elle est inscrite au CNED depuis l’année dernière. Il faut savoir qu’elle a des facilités à l’école donc cela ne pose aucun problème qu’elle soit déscolarisée. Elle a fait 80 matchs la saison dernière pour monter de 3/6 à 0. Je l’entrainais quotidiennement pendant 3 à 4 heures. Cette année, j’avais besoin d’être aidé car je ne pouvais pas tout faire tout seul.  La ligue de l’Essonne de tennis m’a apporté cette aide. Clémence fait désormais partie du « groupe potentiel négatif ». Cette année elle s’entraine environ 70% du temps avec moi et 30% du temps à la ligue. Sur une semaine, elle fait une dizaine d’heures de tennis, et 6 à 7 h d’entrainement physique, quand elle n’est pas en tournoi. Elle a un programme de compétition très chargé. Elle va avoir 51 matchs en mars. Ce n’était pas forcément mon souhait mais elle se sentait prête à enchaîner. Je pense qu’un entraîneur doit savoir s’adapter aux besoins de la joueuse, la connaître, savoir quand elle est fatiguée, quand il faut faire une pause et quand elle peut jouer. Elle a très bien assumé la charge de matchs pour l’instant.

S.A. : Quel est ton rôle dans le projet de cette joueuse de tennis?

S.Q. : Avant toute chose, je pense que le premier rôle d’un entraîneur est d’aider la joueuse à se connaître. Dans le tennis, il faut être fort très jeune. Or à 15/16 ans, on apprend encore à se connaître, à connaître ses émotions, notamment chez les filles. C’est aussi très important d’aider la joueuse à se connaître tennistiquement. Dans une récente interview, Sam Sumyk le coach de Victoria Azarenka disait : je m’endors tous les soirs en me demandant si j’ai tout fait pour ma joueuse. Mon rôle est donc de l’aider, l’accompagner,  lui donner tous les moyens possibles pour atteindre ses objectifs. Je dois lui faire sentir que je crois en elle, mais je dois aussi lui donner les clefs de son projet. Il me semble aussi primordial qu’elle acquière une autonomie, plutôt que de tout lui servir sur un plateau. On accorde beaucoup de place au dialogue, à l’échange, aux ressentis. Et puis, il y a aussi tout l’aspect logistique : chercher des créneaux, l’entrainer dans les meilleurs conditions, trouver des fonds etc…

S.A. : Lors des séances, quels sont les priorités sur lesquelles tu insistes?

S.Q. : La 1ère chose sur laquelle j’insiste est le regard sur la balle. Cela permet d’avoir un haut degré de vigilance et de concentration, être en état d’alerte permanente. La 2ème chose est le relâchement. Pour moi le relâchement permet d’être dans l’engagement à 100%. La moindre retenue fait perdre de l’efficacité à la frappe. Le physique permet de s’engager mais le relâchement donne une autre dimension à la frappe de balle. Les modèles sont Roger Federer et Pete Sampras, qui pouvait frapper un service avec la langue qui sortait. J’ai notamment été inspiré par le livre de Ronan Lafaix, ex coach de Stéphane Robert, sur le relâchement.

J’insiste beaucoup sur le bas du corps, le placement, l’ancrage au sol et le rythme à la frappe adverse. Je lui demande de s’investir physiquement en permanence. La moindre baisse d’engagement n’est pas permise à haut niveau.Enfin je demande un effort au niveau de l’attitude : s’inspirer des championnes, trouver de l’énergie et de la combativité à tout instant.

S.A. : Est-ce que tu fonctionnes par cycles ?

S.Q. Oui avec une grosse préparation hivernale, très physique. Elle a été un peu restreinte cette année car elle a beaucoup joué en tournois indoor. Des conditions de jeu qu’elle apprécie. On travaille le fond, c’est-à-dire être capable de tenir très longtemps à une grosse intensité. Mais aussi la vélocité et la réactivité, puis on met en place les schémas tactiques. Il y a tous les ans une pause de deux mois pendant laquelle elle ne joue pas en tournoi. Sinon, elle alterne au cours de l’année 3 à 4 semaine de tournois, une semaine de repos, dix jours de ré-entrainement, puis elle repart sur 4 semaine de tournois.

S.A. : Peux-tu nous parler des exercices que tu utilises en priorité lors des séances tennis ?

S.Q. : C’est assez complet. j’utilise beaucoup le travail au panier. J’alterne aussi le tennis et le physique en permanence : des séries de 8 frappes avec des parcours physique. Beaucoup de travail en vitesse pure, du travail avec medecine-ball… Nous jouons beaucoup dans les carrés de service lors des débuts de séance. Je fait souvent appel à des sparring-partner, notamment masculin, entre 3/6 et -4/6. C’est plus dur de trouver des joueuses disponibles en journée pendant la semaine.

S.A. : Quelle place accordes-tu à la compétition dans la formation de cette joueuse de tennis ?

S.Q. : Elle est primordiale évidemment. Tout ce qu’on fait est pensé pour la compétition. Il ne faut pas trop en faire pour ne pas l’user. Selon moi on progresse autant à l’entrainement qu’en match. La compétition permet de désacraliser les classements, de se rendre compte que ce ne sont que des barrières mentales. J’essaie de faire le plus possible abstraction du classement dans mon discours avec Clémence. C’est compliqué car tout le monde nous en parle.

La compétition permet de travailler sur des schémas tactiques, d’apprendre à gérer ses émotions, de prendre confiance en soi et de se mesurer aux meilleures. L’idée est de pouvoir transposer un maximum du travail fait à l’entrainement, en compétition.

S.A. : Comment le suivi en tournois se déroule-t-il ?

S.Q. : C’est un vrai problème. Clémence va faire une centaine de match cette année. Je ne peux pas être son coach a temps plein. J’assiste à environ un quart de ces matchs. On met en place un système de tournée de tournoi pendant l’été. L’hiver, c’est plus compliqué car elle part dans toute la France et il m’est impossible d’aller la voir jouer. L’idéal serait évidemment de pouvoir la voir jouer sur tous les matchs.  Pour compenser, nous discutons beaucoup avec Clémence par téléphone après chaque match. On parle de son tennis, de ses émotions, de sa partie…

Je la connais bien donc cela m’aide à visualiser ce qui s’est passé. De plus, son frère a pris une année sabbatique pour l’accompagner et il me tient au courant de ses matchs en permanence.

S.A. : Quel est ton rôle de manager vis a vis des parents de cette joueuse de tennis?

S.Q. : Pour moi, c’est l’aspect le plus important du projet, qui est d’abord familial. Les parents s’investissent matériellement, l’accompagnent sur tous ses matchs. Par contre, les rôles de chacun doivent être bien définis. Les parents sont la pour soutenir mais en aucun cas pour jouer le rôle d’entraineur. Au départ c’était un peu dur car la famille est passionnée de tennis et il y avait de nombreux avis sur chaque match. Nous avons réussi à surpasser cela grâce à des discussions. De la même manière que je ne peux pas prendre le rôle d’un père, ils ne peuvent pas prendre ma place d’entraineur. Cela se déroule très bien, sans rapport conflictuel et discours négatif. Le tennis est assez dur comme ça pour devoir supporter la pression familiale. Si tu te fais démolir à la maison après une défaite, ce n’est même pas la peine de songer à un projet de haut niveau.

S.A. : Que penses-tu du tennis féminin actuel ?

S.Q. : Je trouve qu’il est en train d’évoluer. Il est moins stéréotypé qu’auparavant. Actuellement, il y a des joueuses qui jouent différemment : Azarenka, Kvitova, Stosur, Schiavone. Les joueuses sont de mieux en mieux préparées physiquement. Il y a de plus en plus de jeu vers l’avant. Il n’y a qu’à voir l’évolution du jeu de Bartoli actuellement qui monte plus au filet. L ‘époque ou Conchita Martinez gagnait Wimbledon est révolu (rires).

S. A. : Sur quels aspects Clémence se rapproche déjà d’une joueuse de tennis de haut niveau ?

S.Q. : Là ou elle se rapproche déjà d’une championne, c’est qu’elle va s’engager à fond dans un travail. Récemment je lui ai demandé de travailler sa seconde balle en s’engageant autant qu’en première balle. Elle s’y est mise de suite et je sais qu’elle va le répéter à chaque fois qu’elle va jouer. Ensuite, elle est capable de frapper la balle extrêmement tôt. Elle peux jouer deux mètres dans le court. Chez les filles je ne vois pas trop à qui je pourrais la comparer. Elle a un style de jeu à la Hingis mais en plus moderne, en jouant plus vite. Son style s’apparente à celui d’un Agassi ou d’un Davydenko. Cette joueuse de tennis est très rapide et n’est pas limité techniquement. Elle a une grosse capacité à jouer en angle. Elle a un tennis complet et propose des trajectoires très différentes…

S.A. : Qu’est ce qui l’éloigne du haut niveau ?

S.Q. : Je pense qu’elle doit encore progresser dans son investissement physique et mental. En match, elle peut se faire avoir un peu à l’intox, donc elle doit acquérir de l’expérience et s’endurcir un peu. La différence se fera maintenant sur l’approche mentale, l’investissement physique et la motivation constante à mener à bien son projet.

S.A. : Comment vois-tu ton évolution avec elle à moyen et long terme ?

S.Q. :  C’est toujours dur car il peut se passer beaucoup de choses. On est en perpétuelle évolution. Aujourd’hui je partage le travail de suivi avec la ligue de l’Essonne de Tennis. Je travaille en club 27 semaines par an et j’ai du temps libre ensuite pour l’accompagner. A long terme, il faudra que je puisse me libérer 3 ou 4 semaines supplémentaires, surtout pour pouvoir l’accompagner sur ses premiers tournois ITF.

Ensuite, cela dépendra de son évolution. Si dans les deux ans elle s’approche d’un classement de première série, à ce moment là je songerais à m’engager pleinement avec elle. Dans un premier temps, il s’agit aussi d’établir des partenariats avec d’autres coachs de jeunes joueurs ou joueuses de tennis, avec qui on peut partager les déplacements une semaine chacun en alternance.

S.A. : Merci beaucoup Sébastien d’avoir partagé avec nous ton expérience et tes conseils.  Nous suivrons avec attention le parcours de Clémence, cette jeune joueuse de tennis. Nous ne manquerons pas de faire le point avec toi dans quelques temps.

S.Q. :  De rien, c’était un plaisir d’en parler avec vous. Alors, à bientôt !


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Patrice GRUETAccompagner une jeune joueuse de tennis vers le haut niveau

2 Comments on “Accompagner une jeune joueuse de tennis vers le haut niveau”

  1. boulesios j alexis

    toujours tres interessant de pouvoir acceder aux reflexions et passions d autrui.Ce lien par le temoignage m enrichit.Merci

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