L’aventure théâtrale des stagiaires BAPAAT de Trans-Faire

Bruno DevezeFormation, PortraitsLaisser un commentaire

Décor du spectacle BAPAAT Trans-Faire :"Une petite entaille"

Les stagiaires BAPAAT en formation « Animation socioculturelle », remplacé progressivement par le diplôme CPJEPS, ont présenté cette année, la pièce de théâtre « Une petite entaille » de Xavier Durringer, mise en scène par Jenny Lepage. Le spectacle reprend avec brio  des extraits de la pièce.  Nous avons rencontré Jenny Lepage, elle nous fait partager ses impressions et ses motivations.

Un personnage, Slim, 30 ans, perd son emploi et se retrouve, dès lors, exclu du schéma social. Ses amis veulent le soutenir dans cette épreuve et lui font cadeau d’une fille, Lisa, et d’un pistolet. Nous sommes confrontés à des personnages aux caractères forts, qui se heurtent, attendent que quelque chose se passe. Une pièce à la  poésie noire, sur le chômage, l’exclusion et la responsabilité collective. Voici l’interview de Jenny Lepage.

 Nos stagiaires BAPAAT au théâtre avec Jenny LEPAGE

Pour quelles raisons avez-vous choisi d’adapter cette œuvre en formation BAPAAT ?

Jenny Lepage : Je les ai interrogés sur  les thèmes qu’ils souhaitaient jouer et traiter. Je me suis refusée à leur imposer une pièce, une histoire et un thème avec lesquels ils n’accrocheraient pas.  Le théâtre est avant tout un plaisir, il faut s’intéresser au sujet et par conséquent,  nous avons opté pour une pièce mêlant deux thèmes qui les inspiraient : le clash et le couple. La pièce « Une petite entaille » de Xavier Durringer correspondait tout à fait à ce thème. Au début j’avais une appréhension car l’histoire et l’ambiance sont vraiment proches d’eux et j’avais envie de les sortir de leur quotidien. C’est pour cela qu’en parallèle, j’ai souhaité les faire travailler sur l’imaginaire, le jeu masqué, la marionnette, le jeu burlesque. D’ailleurs, je les ai emmenés voir la pièce de Philippe Genty « Voyageurs immobiles » au théâtre de l’Ouest parisien. Cette pièce mêle danse, marionnette et théâtre. Son originalité se base sur la construction de l’histoire qui n’est pas classique, puisque tout est fondé sur l’univers du rêve et de l’inconscience.

Pour les costumes, la proximité du thème avec leur univers, m’a amenée à leur proposer d’employer leurs propres vêtements. Puis, pour les sortir de cette image et de cette vision d’eux-mêmes, je leur ai demandé de garder ces vêtements pour le jour J, ainsi, l’idée de costume demeurait intacte. Les spectateurs les ont vus arriver habillés d’une certaine manière et ont pu constater qu’ils s’étaient changés pour monter sur scène.


Quelles est la principale condition pour mener à bien l’aventure collective d’une pièce de théâtre ?

J. L. : Pour monter un projet comme celui-ci, il faut se serrer les coudes car la cohésion du groupe est un élément primordial dans le théâtre. Cela demande beaucoup d’efforts et une certaine maturité. Cela n’a pas toujours été simple à mener mais c’est une très bonne expérience et je suis fière du travail qu’ils ont accompli. J’éprouve une grande satisfaction et du plaisir de les avoir vus aller jusqu’au bout des choses sachant que la plupart ont certainement déjà rencontré des échecs. La dureté de réalisation du projet rend le résultat plus valorisant.


Quel à été précisément votre rôle au sein de la pièce ?

J. L. : Mon rôle  était de coordonner et fédérer le groupe. Je devais organiser et choisir les scènes à jouer, répartir les rôles, repérer les musiques correspondant à l’ambiance du passage. En parallèle mes actions se situaient sur la mise en scène, l’interprétation, le dialogue, la présence sur scène, l’évolution du jeu de l’acteur.


Pourquoi avoir choisi le théâtre ? Quels étaient vos objectifs vis à vis des stagiaires BAPAAT ?

J. L. : J’adore le théâtre et je pense que c’est une très bonne façon de s’épanouir et  de travailler sur soi.
Concernant ce projet, j’avais deux objectifs à réaliser. Premièrement, donner la possibilité aux stagiaires de jouer sur scène, car pour moi le théâtre est un bon outil pour apprendre à se connaitre et s’ouvrir. Deuxièmement, et cela me tenait à cœur, les impliquer dans un projet collectif  à long terme. Le but était de leur faire prendre conscience qu’ils ont le pouvoir de finaliser les choses qu’ils commencent. En formation au BAPAAT, nous recevons majoritairement des jeunes qui n’ont pas encore de diplômes et qui ont été en difficulté, voire même en échec scolaire. Par conséquent, ils ont éprouvé des difficultés face au travail personnel qui leur était demandé. Je pense que ces jeunes, avaient besoin d’un cadre pour réussir.  Et pour le construire, il fallait gagner leur confiance et leur respect. Par ce travail, j’ai essayé de les rendre plus autonomes. Pouvoir assister à l’évolution des stagiaires et les voir réussir est un sentiment inestimable pour moi.


Comment avez-vous organisé votre atelier de théâtre cette année ?

J. L. : Le but premier, au-delà de l’expérience que peut apporter la scène, était de les confronter à un public, pour les « entrainer »  avant leur examen final. Aussi, lors de la représentation un seul personnage pouvait être interprété par 4 stagiaires différents selon les scènes. L’idée étant de leur donner une part égale de temps sur scène. En effet pour valider et acquérir le diplôme du BAPAAT, remplacé par le CPJEPS, ces derniers passent devant un jury. Lors de cette épreuve, il leur est demandé de faire de l’improvisation, de jouer une scène déterminée auparavant, qu’ils ont étudiée en amont et répondre à des questions sur l’histoire du théâtre. Tous ces éléments ont été travaillés pour qu’ils soient prêts à passer leur examen. D’un point de vue personnel, je pense que la barre est un peu haut et les exigences difficiles à satisfaire pour un niveau BAPAAT. Il leur est demandé des connaissances que j’ai apprises en licence, si je prends mon cas personnel.


Quel est selon vous, l’importance d’une représentation publique pour les élèves ?

J. L. : Jouer devant un public n’est pas un exercice simple. Cela dépend de la personnalité des stagiaires. Chaque individu est différent et  mon travail consiste aussi à adapter ma pédagogie aux différents caractères. Chez certains, la crainte de se montrer, de monter sur les planches est synonyme d’épreuve. Le but est de les désinhiber, de leur faire prendre confiance en eux. A priori, les spectateurs sont principalement des gens conquis, si je puis dire, car ce sont des parents, des proches, des formateurs ou des tuteurs. Mais attention, cela ne rend pas les choses plus simples puisqu’on peut avoir la peur de décevoir des gens que l’on connaît. Selon moi, cet exercice leur a permis de se confronter au regard de l’autre, d’améliorer l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. Tout cela est la conséquence d’un travail abouti. Au final, ils sont fiers d’avoir réalisé un projet jusqu’au bout  et sont contents d’eux-mêmes.

Pour exemple, j’avais quelques soucis avec un stagiaire. Toutefois, avec le temps, il arrivait à l’heure, voire en avance aux répétitions, il était impliqué et s’est beaucoup investi. D’ailleurs, il est venu me dire que son tuteur me remerciait  de son évolution positive depuis qu’il pratiquait le théâtre. De mon côté, j’imagine qu’il a subi de nombreux échecs. Il m’avait avoué que personne ne lui avait jamais laissé sa chance et j’ai senti une joie particulière chez lui lorsqu’il a su qu’il avait réussi sa première épreuve de théâtre.


L’histoire évoque le chômage, l’exclusion, la responsabilité collective. Est-ce que des sujets conforment à la réalité impliquent davantage les stagiaires BAPAAT dans leur travail ?

J. L. : Cela dépend encore une fois de la mentalité de chacun. Au théâtre, l’envie détermine la qualité d’interprétation et la qualité du jeu de l’acteur. Le choix d’un thème qui les touche, les incite à se plonger dans l’histoire.

Toutefois, certains ont eu du mal à comprendre que c’était une pièce. Ils n’ont pas essayé d’établir une distance, de sortir de leurs préjugés. Je prends l’exemple de stagiaires qui se sont engagés dans ce projet et qui au final ne sont pas venus le Jour J. C’est dommage, qu’ils n’aient pas compris la dureté et le temps qu’il faut pour mettre en place une représentation. Mais pour les autres, le fait de choisir un sujet qui les attire, améliore l’attention qu’ils portent au projet.


Quels bénéfices, d’après vous, les stagiaires BAPAAT ont perçu de cette expérience ?

J. L. : Je pense que les stagiaires ont aimé réaliser ce projet. Même si cela demande du travail, le résultat accompli les amène à être fier d’eux. Ils se sont surpassés et peuvent être satisfaits du résultat.

D’un point du vu professionnel, ils sont amenés à animer des représentations auprès des enfants. Comme dans tout métier, j’estime que se mettre à la place de son public est important. Cela aide  sur le plan de la pédagogie et dans sa façon de procéder.


Quels enseignements avez-vous tiré de cette aventure ?

J. L. : À chaque expérience entreprise, on apprend. Lorsque je me suis lancée dans ce genre d’aventure, au début, j’étais stressée aux moindres imprévus. Maintenant, je suis plus calme car je sais que tout problème a sa solution. Par exemple, une stagiaire nous a fait faux bond le jour J sans prévenir. D’autres stagiaires ont lu le texte de  son personnage pour que la pièce puisse se dérouler dans de bonnes conditions. Il m’a suffit de m’excuser et m’expliquer auprès du public. Comme dans toutes actions dont je m’occupe, je me remets en question.


Quels sont les différents travaux ou disciplines demandés aux stagiaires BAPAAT pour ce spectacle, mis à part le jeu théâtral ?

J. L. : Avec l’aide d’élèves spécialisés dans l’art visuel, ils ont réalisé une fresque sur laquelle sont insérés des graffs avec des mots inscrits qui ont un lien avec le spectacle (désir, hâte, challenge, danger, dark street, love, sadness, misère). Ils ont eu également un rôle de metteur en scène en apportant leur point de vue sur le déroulement des scènes, sur l’univers des lieux. De plus, ils ont suggéré des musiques retraçant l’émotion de l’action interprétée. Au début du projet, un des stagiaires qui pratique le djembé s’était proposé de créer un morceau. Le manque de temps n’a pas permis la réalisation de cette idée et notre choix s’est arrêté sur 3 groupes : Ezekiel, Nick Cave, et Massive Attack.


Parlez nous de l’endroit dans lequel nous nous trouvons, le théâtre Théo et sa compagnie « La Strada ».

J. L. : Le Théo théâtre existe depuis 15 ans. C’est un édifice de quartier composé de 2 salles comprenant 50 places. La Strada propose des cours de théâtre pour les enfants, adolescents et adultes et intervient également dans des écoles de commerce, des entreprises. Enfin, elle forme à l’ animation comme c’est le cas des BAPAAT et BP JEPS des formations Trans-Faire.
La compagnie « la Strada » a vu le jour dans les années 90. Elle a été montée par Olivier Corbier qui est le responsable pédagogique et directeur artistique de la compagnie et par Florence Fouéré qui est la directrice de la programmation du Théo-Théâtre. Celle-ci comprend des professionnels du spectacle et de l’animation qui s’occupe de l’aspect pédagogique. Elle a pour mission de former des élèves « amateurs ».


Comment percevez-vous la pédagogie  » Ludique et Bienveillante » des formateurs de la compagnie « La strada ». Avez-vous le même point de vue ?

J. L. : Oui, je suis totalement d’accord avec cette pédagogie. Elle est ludique car on dit jouer lorsqu’on rentre dans la peau d’un personnage ou lorsqu’on monte sur scène. Pour être performant sur les planches il faut travailler mais cela doit rester un plaisir avant tout. La pédagogie est bienveillante car les formateurs prennent soin des élèves, les aident à se surpasser. Lorsque l’on monte sur scène devant un public, on se met à nu et on devient vulnérable. De ce fait, c’est une bonne chose que les formateurs de la compagnie protègent les personnes qui se jettent à l’eau.


Pensez-vous  que cette pédagogie amène l’élève à plus de spontanéité et d’inventivité ? Vous servez-vous souvent des techniques d’improvisation ?

J. L. : Cette pédagogie aide les élèves à prendre confiance en eux et donc, en toute logique, cela engendre plus de spontanéité et d’inventivité de leur part. Toutefois, la créativité reste une capacité que l’on possède ou que l’on acquiert. Cela peut prendre du temps, notamment pour réussir à s’extérioriser. C’est pour cela que certains acteurs qui se produisent au théâtre peuvent être brillants lorsqu’ils jouent un personnage mais perdent leurs moyens lorsqu’ils doivent improviser ou se découvrir. Cela marche aussi dans l’autre sens. On peut être à l’aise pour improviser et rentrer dans un « sketch » mais avoir du mal à ressentir de l’émotion dans un personnage préconçu. Le personnage et le texte d’un scénario permettent à quelqu’un de plus timide de se « cacher » et d’avoir une assurance, une stabilité. C’est mon cas. Cela répond à votre deuxième question. Je ne suis pas très à l’aise dans l’improvisation. De ce fait, il m’arrive d’utiliser l’improvisation mais à petite échelle. Je ne suis pas une spécialiste des techniques d’improvisation mais j’utilise quelques exercices qui en font partie.


Que pensez-vous de cette phrase de B. Brecht « 
L’affaire du théâtre a toujours été de divertir les hommes, il n’y a aucune contradiction entre divertir et instruire, car il y a plaisir d’apprendre » ?

J. L. : Cette phrase est totalement en adéquation avec ce que je pense et ma façon de voir le théâtre. Lorsque je joue ou choisis des pièces, je suis très souvent attirée par les pièces engagées (émotionnellement, socialement, politiquement). C’est important de divertir mais si l’on peut instruire en même temps c’est super.  Grâce au théâtre, on peut apprendre sur soi-même, sur les autres et sur le monde qui nous entoure.


Quels sont vos projets personnels et professionnels pour la rentrée ?

J. L. : D’un point de vue professionnel, en septembre-octobre je continue l’aventure avec les stagiaires BAPAAT qui ont joué la pièce « une petite entaille ». Mes cours porteront essentiellement sur l’animation. Ils devront comprendre comment créer une fiche de séance et comment réagir face aux enfants. L’objectif de la rentrée sera avant tout d’ordre pédagogique. Comment faire si une façon de jouer ne fonctionne pas pour telle ou telle raison ? Être ainsi capable d’improviser, de changer sa séance, de s’adapter au public. Apprendre à gérer les imprévus.

Je travaille sur le spectacle « Ma famille » de Carlos Liscano avec la compagnie «Le cri de l’escargot », dont je fais partie depuis 5 ans. Nous recherchons des subventions et des lieux de résidence pour finir cette création. Je travaille aussi sur une autre pièce « Direction critorium » de Guy Foissy avec la compagnie « Les petits désordres ». J’ai également un projet avec la compagnie « Gaby Sourir »,  au sein d’un immeuble de la goutte d’or dans lequel, par le biais du théâtre, nous cherchons à créer du lien social.

Pour finir, je dirige des ateliers au Théo théâtre avec des adolescents et des jeunes adultes.

¦› Pour aller plus loin

Vous pouvez également consulter nos formation Animation BAPAAT socioculturel sur notre site. Si vous souhaitez en savoir plus sur le théâtre Théo et sa compagnie « La Strada ».

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