Le mental au tennis, comprendre l’insuccès des joueurs français

Bruno DevezeDossiers1 Commentaire

Pour mieux comprendre le rôle clé des facteurs psychologiques et du mental au tennis dans la quête d’une victoire en grand chelem, nous vous proposons de découvrir l’interview de Gérard Pestre, réalisée par Nicolas Cerbelle, le 16-05-2011 pour le site Sport24

Formateur travaillant notamment auprès de la FFT, Gérard Pestre nous a livré quelques clés pour comprendre l’insuccès des tennismen français à Roland Garros.

Sport24.com : Quel rôle tenez-vous exactement auprès de la FFT par l’intermédiaire de Trans-faire*, votre organisme de formation ?

Gérard Pestre : Trans-faire a un partenariat important avec la Fédération Française de Tennis dans le cadre de la formation des enseignants d’Ile-de-France. Depuis une douzaine d’années, nous travaillons également avec la Direction technique nationale et nous chargeons de la formation des entraîneurs nationaux dans l’accompagnement des joueurs au niveau de la préparation mentale et psychologique. Nous intervenons plutôt en amont auprès des jeunes joueurs qui arrivent au Centre National d’Entraînement (18-22 ans).

Pourquoi l’aspect mental au tennis est-il si important dans un sport comme le tennis ?

Parce que c’est un sport individuel. On est seul sur le court. On sait que la confiance en soi, la lucidité, la concentration sont des facteurs de réussite. Mais c’est un ensemble de facteurs (technique, physique, mental) qui font qu’un joueur se sent bien sur le court et qu’il gagne. Or, certains joueurs ont un blocage mental qui les empêche de s’épanouir en match.

Y a-t-il une spécificité mentale française ?


Je ne suis pas sûr que ce soit une spécificité française. Si l’on pense à Roland Garros, il y a des Français qui réussissent, qui réalisent des exploits, des performances (même s’il est vrai que «jouer en perf’», contre un joueur supposé plus fort que soi, est toujours plus facile). Ces joueurs sont plutôt stimulés par le fait d’évoluer devant son public. Maintenant, c’est vrai que beaucoup arrivent à Roland Garros en état de tension négative. Ils sont impressionnés par l’enjeu. Ils sont très angoissés. Or, quand on est angoissé, en tennis peut-être encore plus que dans un autre sport, on est bloqué.

Comment expliquez-vous l’absence de grandes performances des tennismen français à Roland Garros ?


Le problème majeur est que la France ne possède pas de joueur d’exception, quelqu’un qui soit dans les cinq premiers mondiaux pendant plusieurs années consécutives. Pour gagner un Grand Chelem, il faut être régulièrement dans le dernier carré afin d’acquérir l’habitude des grands rendez-vous. Quand on y est systématiquement, il y a un moment où ça passe. L’expérience acquise permet de ne pas aborder l’événement comme un moment exceptionnel susceptible de vous faire tout rater.

Il n’y a donc aujourd’hui pas de Français capables de gagner un Grand Chelem…


S’il doit y avoir une spécificité française, c’est qu’on a du mal à former le champion d’exception. Le champion d’exception cumule énormément de qualités : tennistique (le sens du jeu), physique (la résistance), la capacité à souffrir (beaucoup et longtemps)… On dit qu’il faut dix ans, ou 10 000 heures de travail, pour former un champion, mais pendant ces dix ans, il faut en baver tout le temps pour tenir le haut du pavé. Et c’est peut-être là que les Français ont des difficultés à s’engager sur la durée. Pour s’engager aussi longtemps, il faut avoir une sur-motivation, qui vient du plus profond de soi et qui donne envie de tout casser.

Comment repérer et former un champion d’exception ?


C’est très difficile à déterminer. L’exemple de Roger Federer est intéressant. Au début de sa carrière, il était très colérique. Au fil du temps, il a réussi à canaliser son énergie et on s’est rendu compte qu’il était exceptionnel, grâce notamment à la fluidité de son tennis, un sens du jeu incroyable, ses qualités physiques… C’est venu progressivement. Monter dans le classement et arriver dans le Top 20-30, est quelque chose que les Français parviennent à faire. Ils sont actuellement cinq dans ce cas (Ndlr : Gaël Monfils, Richard Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga, Gilles Simon et Michaël Llodra).
Le système français est actuellement très bon pour ça. Notre système est d’ailleurs souvent envié dans les pays étrangers. Il obtient de bons résultats globaux. On pourrait presque dire que l’on tire le maximum de ce que l’on peut espérer des joueurs. S’il était Néerlandais, Gaël Monfils ne serait peut-être que 40e mondial aujourd’hui, et non pas 10e. Le plus difficile reste de franchir la dernière marche. Entre 10e et n°1 mondial, c’est là que la différence est assez fondamentale.

Estimez-vous que les tennismen français sont aujourd’hui dans une position trop «confortable» ?


Peut-être que si on n’a pas de joueurs d’exception, c’est parce qu’en France on vit relativement bien, que les joueurs sont pris en charge par la Fédération dès leur plus jeune âge et qu’ils ont ensuite du mal à s’autonomiser… Ils n’ont pas la sur-motivation nécessaire pour franchir ce dernier palier. C’est sans doute ce qui fait la différence avec un Novak Djokovic, qui vient d’un pays qui a connu la guerre (Ndlr : la Serbie), ou que l’on n’a pas de joueurs issus des familles où il a fallu se battre pour s’en sortir. La douceur de vivre ne fait pas forcément bon ménage avec la performance.

Le Français manquerait donc de niaque…


Plus que de la niaque, il lui manque surtout une énergie positive qui le pousse à s’améliorer en permanence. C’est ce qui fait que Rafael Nadal modifie son jeu alors qu’il a déjà atteint le sommet. Cette énergie ne s’invente pas. On l’a en soit ou on ne l’a pas. Et quand on l’a, il faut continuer à développer cette force.

La Direction technique nationale peut-elle améliorer son système afin de faire émerger un futur champion ?


Elle a quand même certaines valeurs et ne peut pas cautionner n’importe quoi. Un enfant poussé à outrance par son père atteindra peut-être un niveau de jeu exceptionnel mais souvent au détriment de son développement personnel. La FFT développe aussi des valeurs éducatives. Nos joueurs font des études quand ils sont à l’INSEP. Ils passent le bac. Dans l’absolu, pour avoir un n°1 mondial, il faudrait peut-être qu’un joueur arrête ses études à 12 ans, ne fasse plus que jouer au tennis et qu’il ait un entraîneur personnel très tôt. Les valeurs que l’on prône en France font que l’on ne s’engage pas vers ces extrêmes.

Un joueur comme Richard Gasquet a longtemps été présenté comme le futur «Mozart du tennis». Or, il n’a jamais vraiment confirmé sur le circuit professionnel, notamment en comparaison avec Rafael Nadal, qu’il battait pourtant régulièrement en Juniors…


Il y en a un (Nadal) qui a investi le tennis avec une volonté systématique et l’autre (Gasquet) qui est arrivé avec sa sensibilité, sa difficulté à s’engager dans un travail de fond beaucoup plus conséquent sur le plan physique. Le talent est une chose mais ne se suffit pas à lui-même. On a vu qu’il y avait plusieurs composantes pour faire un champion (…) Ce que nous a appris la psychologie, c’est que l’Homme n’est pas une machine.

Yannick Noah, ultime vainqueur français d’un Grand Chelem (Ndlr : Roland Garros 1983), est-il notre dernier tennisman d’exception ?


C’était en tout cas un joueur qui avait une volonté extrême, des capacités physiques incroyables. Il a su compenser ses lacunes techniques par une motivation surhumaine. Il a puisé sa victoire dans sa capacité à souffrir. Et, je le répète, cette capacité n’est pas donnée à tout le monde. Peu importe le système, il faut que le joueur ait ce désir suprême d’y arriver.

Cette interview sur le mental au tennis fait partie du dossier spécial  « Pourquoi aucun Français ne s’est imposé à Roland Garros depuis 1983 ? » disponible sur le site de Sport24 en cliquant ici



*Trans-faire débutera une formation «Préparation mentale du sportif» à la rentrée prochaine pour tous les éducateurs et formateurs.

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